
Figure 1 : Image en bande I du nuage L183 prise au CFHT, Canada-France-Hawaii Telescope. Noter au centre une zone noire, obscurcie par la poussière (ne révélant aucune étoile de fond), entourée de lumière diffusée, représentée par la nébuleuse bleue. Trois étoiles du champ sont encerclées de blanc, afin de servir de repères sur les autres images. Cliquer sur l’image pour l’agrandir Ce sont dans les nuages de gaz et de poussières que les étoiles se forment et les petits nuages comme L183, engendrent des étoiles de faible masse, comme notre Soleil. Comment les forment-ils ? C’est toute la question. Pour comprendre la formation des étoiles, il faut pouvoir observer l’intérieur de ces nuages qui, pleins de poussières, sont opaques à la lumière visible. L’intérieur de ces nuages nous est révélé par l’émission ou l’absorption des poussières dans différentes régions de l’infrarouge comme le montre par exemple cette image prise par le satellite Spitzer en Figure 2 à 8 µm de longueur d’onde et qui révèle l’absorption de la lumière émise par les "PAHs" (petites particules de "poussière", ou grosses molécules, faites de PolyAromatic Hydrocarbons) à la surface du nuage : l’émission qui a lieu à l’arrière du nuage ne nous parvient que très atténuée par la poussière à l’intérieur, révélant celle-ci (cf Figure 2).

Cependant, l’étude des poussières est difficile et de plus ne donne aucune information sur les mouvements du gaz dans le nuage, en particulier ceux qui peuvent révéler l’effondrement du nuage en un point pour y former une étoile, ou la rotation de ce nuage, prélude à la formation d’un disque protostellaire et de planètes. Seule l’étude spectroscopique du gaz à haute résolution en vitesse peut nous permettre d’obtenir ces informations. Il reste à savoir quel composant du gaz est utilisable pour ce faire. Le composant principal, l’hydrogène, sous forme moléculaire dans les nuages n’est pas observable directement, sinon sur les bords. Il en est de même pour l’hélium. On connaît depuis la fin des années 60, l’existence d’autres molécules, dont les plus abondantes sont le monoxyde de carbone (CO) et l’eau (H2O). CO s’est révélé un bon traceur du gaz mais dans le courant des années 90, comme prédit 20 ans avant, on a pu montrer que cette molécule disparaissait dans les nuages sombres dans certaines conditions : quand le nuage est froid (< 20 K) et suffisamment épais pour être protégé des rayons UV (émis par toutes les étoiles). Alors, la plupart des molécules se collent sur les grains de poussière pour former des manteaux de glace. L’eau est sans doute la première à se coller (l’eau gèle à une température anormalement élevée pour son poids moléculaire) et des molécules comme CO, CS, SO se déposent en glaces dès que l’extinction dans les nuages atteint environ 10 magnitudes (dans le visible). Pas question alors d’étudier les coeurs les plus enfouis avec ces traceurs. D’autres espèces chimiques ont alors été recherchées, qui résisteraient mieux à ces conditions extrêmes. Sans que les causes en soient encore bien comprises actuellement, les molécules ne contenant que de l’azote et de l’hydrogène semblent ne pas disparaître dans ces coeurs très denses. Parmi ces molécules, une est bien connue sur Terre, il s’agit de l’ammoniac (NH3), l’autre, ionisée, est plus spécifique au milieu interstellaire (N2H+).

Figure 3 : Contours d’émission du radical N2H+ dans L183, superposée à l’image de la Figure 2. L’émission est fortement corrélée à la zone d’absorption maximale du nuage. Cliquer sur l’image pour l’agrandir A partir d’un modèle de transfert radiatif (modèle qui essaie de reproduire l’émission des molécules pour la comparer à celle observée), il a été possible de déduire les paramètres qui décrivent le mieux le coeur préstellaire au centre de cette image (un deuxième coeur, clairement visible dans les contours de N2H+ se situe au nord. Il est moins avancé sur le chemin de former une étoile). Le coeur est encore plus froid que ce qui était proposé à ce jour, descendant à seulement 7 K au-dessus du zéro absolu. Dans ces conditions extrêmes de température, et loin à l’intérieur du nuage, même les molécules azotées disparaissent de la phase gazeuse, ce qui signifie que soit elles, soit leurs molécules mères (comme N2) viennent se coller sur les grains. Dans cette zone extrêmement froide, où la turbulence disparaît également, toutes les conditions semblent réunies pour que l’effondrement commence et mène à la formation d’une étoile. Les spectres des molécules NH3, N2H+ et N2D+ qui ont permis cette analyse sont montrés en Figures 4, 5 et 6 ci-dessous.



Réference Depletion and low gas temperature in the L183 prestellar core : the N2H+ - N2D+ tool Laurent Pagani (LERMA, Obs-Paris), Aurore Bacmann (OASU, Bordeaux), Sylvie Cabrit (LERMA, Obs-Paris), Charlotte Vastel (CESR, Toulouse) Astronomy & Astrophysics, in press
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