La formation d’étoiles de faible masse est connue pour se produire exclusivement dans les intérieurs protégés de coeurs de nuages moléculaires, lorsque la gravité l’emporte sur les pressions thermique, magnétique et turbulente et que le coeur s’effondre. Le lancement de ce processus est parmi les étapes les moins bien comprises de la formation d’étoiles. Pourtant, il est essentiel de comprendre certains de ses aspects les plus fondamentaux, tels que la fonction initiale de masse, la fraction de binarité et sa dépendance en la masse stellaire, et l’efficacité de la formation des étoiles. Une grande partie de notre connaissance de la structure des coeurs de nuages sans étoiles vient d’observations de l’émission millimétrique de la poussière. Cependant, les observations du continuum ne donnent qu’une image partielle de la structure des nuages, car la coagulation de la poussière est un processus clé aux fortes densités des coeurs sans étoiles, ce qui modifie le coefficient d’opacité des grains et cache efficacement une grande partie de la masse de la poussière. De plus, les études de poussière ne fournissent pas d’informations directes sur la dynamique de ces coeurs, ni sur leur chimie.
De même, les observations moléculaires sont également connues pour fournir une vue biaisée des coeurs sans étoiles. Cela reflète la condensation des espèces sur des manteaux de glace aux densités élevées. Cependant, pour des raisons qui ne sont pas entièrement comprises, les espèces contenant l’azote, notamment l’ammoniac, ne semblent pas participer à cette condensation. Les espèces deutérées, y compris les isotopologues de l’ammoniac ou N2D+, forment la deuxième exception. Une haute deutération des espèces en phase gazeuse est, en effet, une conséquence directe de la condensation sur les grains, et de la disparition fortuite d’ortho-H2 de la phase gazeuse, sans laquelle aucune deutération ne se passerait. Cela entraîne à son tour l’abondance en phase gazeuse et la fractionation de H3+.

Les observations avec Herschel, Array ALMA Compact (ACA), et le télescope submillimétrique de Caltech (CSO) ont fourni de nouvelles connaissances sur la structure du coeur pré-stellaire dans L1689N, qui a été suggéré en interaction avec un flot moléculaire, ayant pour origine la proto-étoile proche, de type solaire IRAS 16293-2422. Cette source se caractérise par un niveau de deutération parmi les plus élevés observés dans le milieu interstellaire. Le changement de la vitesse et de la largeur de raie de NH2D à travers le coeur fournit des indications claires d’une interaction avec le flot, tracé par l’émission à grande vitesse de la molécule d’eau. Le gaz froid, au repos, caractérisé par des largeurs de raie étroites, se trouve dans la partie nord-est du coeur. Le choc associé au flot moléculaire a pu déjà se propager à travers cette partie du coeur, résultant en des profils de raie étroits, non perturbés dans le gaz post-choc froid et comprimé, décalé vers le bleu par rapport à la vitesse systémique du nuage ambiant. La partie SW du coeur est toujours en interaction avec le flot.
Une émission N2D+ et ND3N2D forte est détectée avec ACA. Les données ACA révèlent aussi la présence d’une source de continuum de poussière compact, avec une taille moyenne de 1100 au, une densité centrale élevée de (1-2) × 107 cm-3, et une masse de 0,2-0,4 Mo. Le pic de l’émission de poussière est décalé vers le sud par rapport à l’émission moléculaire, ainsi que le pic de poussière détecté par l’antenne unique, ce qui suggère que la partie nord du coeur qui est au repos est caractérisée par une émission continue spatialement étendue, qui est en grande partie résolue par l’interféromètre . Il n’y a pas de preuve claire de la fragmentation dans la partie au repos du coeur, ce qui pourrait conduire à une deuxième génération de formation d’étoiles, bine qu’une source faible de continuum de poussière est détectée dans cette région dans les données ACA.
Il n’y a aucune preuve dans les données d’ammoniac deutéré que la vitesse turbulente varie avec le rayon, comme on le voit dans certains coeurs. La largeur de raie 0,4 km s-1 FWHM correspond environ à la largeur thermique de la raie H2 à 7 K et est 3-4 fois plus grande que la largeur attendue de NH2D, ND3, ou N2D+. Cela montre que l’élargissement de la raie est principalement non-thermique et que les mouvements turbulents soniques ou quelque peu sous-soniques sont dominants, même dans la partie nord au repos du coeur. Ceci est différent des coeurs pré-stellaires typiques de Taurus, où les largeurs de raue sont essentiellement thermiques, et est peut-être lié à l’interaction avec le flot moléculaire.
Ces nouvelles observations démontrent l’utilité des transitions rotationnelles fondamentales de l’ammoniac deutéré comme traceur des phases pré-stellaires de formation d’étoiles, profondément enfouies. Ces raies sont accessibles aux installations submillimétriques présentes au sol, notamment ALMA, offrant de nouvelles perspectives sur les premières phases du processus de formation des étoiles.
Référence
Star Formation and Feedback : A Molecular Outflow—Prestellar Core Interaction in L1689N. D.C. Lis, H.A. Wootten, M. Gerin, L. Pagani, E. Roueff, F.F.S. van der Tak, C. Vastel, C.M. Walmsley,
The Astrophysical Journal, in press,