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Des nuages à la surface des étoiles

1er janvier 2012

Parmi les observations qui résistent à l’analyse, et cela depuis plusieurs décennies, il y a les étranges anomalies d’abondances que l’on détecte à la surface des étoiles magnétiques ApBp de la séquence principale. Elles constituent un défi, tant pour les théoriciens que pour les observateurs, car elles mettent en cause nos méthodes de diagnostic ainsi que notre compréhension des couches externes des étoiles chaudes. L’atmosphère d’une étoile chimiquement particulière du groupe ApBp est le siège de processus de diffusion microscopique qui stratifient les éléments en fonction de leurs propriétés atomiques. Ces étoiles possèdent souvent un champ magnétique intense et, dans ce cas, leur atmosphère est chargée de nuages de métaux, avec des structures variées qui dépendent de la topologie du champ et des propriétés de chaque élément. Des progrès notables ont été récemment réalisés dans la modélisation de ces phénomènes, notamment les premières simulations numériques de la formation de ce type de nuage ont été réalisées par un chercheur de l’Observatoire de Paris dans le cadre d’une collaboration avec des chercheurs de l’Institut Astronomique de Vienne (Autriche).

Les étoiles ApBp magnétiques sont généralement étudiées par spectropolarimétrie. Les observations montrent que l’atmosphère de ces étoiles présente de fortes anomalies d’abondances et réparties de façon inhomogène (on observe souvent des surabondances de plusieurs ordres de grandeur par rapport aux abondances cosmiques, des sous-abondances sont également trouvées). La cartographie des structures magnétiques et des abondances est réalisée par imagerie Zeeman-Doppler. Bien que la précision de cette imagerie soit encore insuffisante pour une étude détaillée, l’existence des structures n’est pas contestée. Plusieurs travaux montrent également une dépendance des structures avec la profondeur.

Comment expliquer ces particularités ?

Le seul mécanisme connu pour expliquer de telles anomalies est la stratification des abondances par diffusion microscopique (Michaud, 1970). En effet, il a été montré que les étoiles ApBp sont les étoiles de la séquence principale qui ont l’atmosphère la plus stable (condition requise pour que les effets de la diffusion soient perceptibles). Bien que la diffusion microscopique soit un processus physique découlant des principes premiers et qu’elle soit relativement bien connue, sa modélisation est très complexe pour une atmosphère stellaire (davantage que pour les couches profondes). Les raisons en sont principalement les suivantes : les vitesses de diffusion sont fortement dépendantes de l’accélération radiative dont le calcul nécessite l’utilisation de très grandes quantités de données atomiques, et parfois pour des éléments dont les données sont insuffisantes (comme les terres rares), le calcul des accélérations radiatives demande la résolution détaillée de l’équation de transfert de rayonnement polarisé avec des centaines de milliers de raies (qu’elles soient observables ou non) entre 900A et 10000A, à0.01A de résolution, avec une estimation de la désaturation Zeeman et une prise en compte des blends, le mécanisme de stratification en fonction du temps dépend de façon non-linéaire et non-locale de la distribution de chaque élément au travers de l’atmosphère, la stratification est un processus très lent et donc très sensible àtoute perturbation du milieu.

Figure 1 : Stratification d’équilibre du fer dans une atmosphère de Bp magnétique (Teff=12000K, 20kG au pôle magnétique, cas dipolaire). En abscisse, le méridien magnétique (0 correspond au pôle, 90 à l’équateur magnétique) ; en ordonnée le numéro de la couche (la couche 75 correspond à peu près à la profondeur optique 1, la couche 30 à 10-5). L’abondance normale de Fe est ici 7.5 (en logarithme dans une échelle correspondant à 12 pour l’hydrogène). Les courbes de niveau et les niveaux de gris indiquent l’écart d’abondance de Fe par rapport à la normale.

Le modèle de stratification 2D à l’équilibre

Un calcul réaliste de la formation de tels nuages n’est actuellement pas envisageable. Notamment, ce type de calcul nécessite encore quelques développements théoriques et numériques, ainsi qu’un accès à des ressources informatiques très importantes. Cependant, une modélisation approximative est possible avec un coût en calcul raisonnable. On peut, par exemple, estimer quels pourraient être ces nuages dans un processus qui aurait atteint un état d’équilibre (Alecian & Stift 2010, LeBlanc et al. 2009). Ce type de calcul (Figure 1) nécessite environ 6000h CPU monoprocesseur sur la SGI (Jade) au CINES. La Figure 1 montre une coupe 2D dans une atmosphère d’étoile Bp magnétique de l’abondance d’équilibre du fer le long d’un quart de méridien (pour une structure dipolaire simple). On peut y voir une concentration forte de fer à proximité de l’équateur magnétique et à une profondeur optique de 0.01. Comme la géométrie du champ est ici strictement dipolaire, le nuage a la forme d’une ceinture autour de l’étoile. La Figure 2 donne une vue schématique de ce type d’étoile.

Figure 2 : Représentation schématique du rotateur oblique dipolaire correspondant au calcul de la Figure 1 (pôle magnétique cerclé en rouge). Les zones colorées représentent la distribution du fer. La ceinture de fer en altitude correspond à la surabondance visible à 90° dans la Figure 1. L’échelle de contraste et l’altitude de la ceinture de fer sont exagérées sur cette figure afin de rendre la représentation plus parlante. Cliquer sur l’image pour l’agrandir

Premières simulations numériques de la formation d’un nuage

Bien que la description précise de la formation de ces nuages soit actuellement hors d’atteinte, un travail récent (Alecian et al, 2011) a permis de progresser dans la compréhension du phénomène et de se faire une idée plus précise du comportement de ces nuages. Pour cela, les auteurs ont considéré un élément fictif (le « cloudium ») dont les propriétés atomiques ont été inspirées de celles du mercure, mais refaçonnées de manière à permettre un calcul beaucoup plus rapide. Cette simulation numérique de la diffusion microscopique dans une atmosphère d’étoile (la première jamais réalisée), permet d’établir un ordre de grandeur réaliste des temps caractéristiques de formation des nuages et montre deux comportements essentiels : il existera de nombreux cas où les états d’équilibre ne seront jamais atteints, l’hypothèse d’une formation cyclique ou chaotique de ces nuages au cours du temps semble être confortée.

Figure 3 : Animation montrant la formation d’un nuage d’élément lourd dans une atmosphère magnétique (Teff=12000K, 7kG). La simulation numérique 1D montre la diffusion du cloudium, avec une abondance initiale égale à celle du mercure dans le Soleil. Au bout d’une trentaine d’années, un nuage (1000 fois plus abondant qu’au temps initial) se forme et s’élève dans l’atmosphère. Avec les paramètres de ce calcul, un état stationnaire (différent de l’équilibre) est atteint en quelques siècles. La fin du calcul montre le réajustement du nuage après une diminution forcée de l’abondance à la base de l’atmosphère. Cliquer sur l’image pour voir le film