Deux formes d’activité pour les galaxies
On parle de «  noyau actif  », lorsque le noyau d’une galaxie émet des raies spectrales très larges et de haute excitation, que l’on attribue à la présence d’un trou noir massif alimenté par un disque d’accrétion. Les fameuses galaxies de Seyfert sont les prototypes des galaxies à noyau actif — souvent appelées tout simplement "galaxies actives". Mais le terme d’activité s’emploie également pour qualifier des galaxies en phase de formation stellaire. Cette activité se manifeste aussi par des raies d’émission, cette fois-ci produites dans un gaz ionisé par les étoiles nouvellement formées.
Comment distinguer simplement ces deux formes d’activité ?
Les noyaux actifs émettent des photons plus énergétiques que les étoiles massives. Ils sont donc capables de chauffer plus vigoureusement le gaz. En 1981, Baldwin, Phillips et Terlevich ont proposé une série de diagrammes, basés sur des rapports de raies, séparant clairement les deux modes d’excitation. Le plus fameux d’entre eux, appelé communément le diagramme BPT, représente [OIII]5007/Hbeta en fonction de [NII]/Halpha. Dans les galaxies à noyau actif, les raies [OIII] et [NII], excitées par collisions thermiques, sont plus intenses par rapport aux raies de recombinaison de l’hydrogène que dans les galaxies à formation d’étoiles.
Les deux familles de galaxies à raies d’émission dans le Sloan Digital Sky Survey
Le Sloan Digital Sky Survey (SDSS), qui a effectué un relevé spectroscopique d’un quart du ciel et a obtenu les spectres d’environ 700 000 galaxies, a révolutionné notre vision de l’Univers local à bien des égards. En ce qui concerne les galaxies à raies d’émission, le diagramme BPT indique qu’environ 30% des galaxies se trouvent dans la zone des galaxies à noyau actif ! Un résultat qui contraste fortement avec l’idée qu’on se faisait de la population de galaxies à noyau actif, évaluée à 1-2% dans les relevés antérieurs.
De plus, dans le diagramme BPT appliqué au SDSS, les galaxies à raies d’émission se retrouvent réparties le long de deux séquences évoquant les ailes d’une mouette en plein vol (Fig. 1). L’une des séquences, l’aile gauche, était connue depuis longtemps comme étant la séquence des galaxies à formation d’étoiles. Mais l’autre, dite séquence des galaxies à noyau actif, était inattendue !
En y regardant de plus près, on peut deviner que l’aile droite se compose de deux branches, attribuées respectivement par Kewley et ses collaborateurs aux galaxies de Seyfert et aux LINERS — « Low Ionization Nuclear Emission Regions », un terme proposé en 1980 pour désigner les noyaux de galaxies qui semblaient présenter un faible signe d’activité non stellaire. Par extension, ce terme a été étendu aux galaxies ayant un spectre semblable aux LINERS. Les raies d’émission dans ces objets sont peu intenses, détectables uniquement après une modélisation détaillée du continu stellaire. De nombreuses hypothèses ont été émises sur l’origine de l’activité dans les LINERs.
Galaxies actives, passives et ....... retraitées
Toutes les galaxies ont, à un moment ou un autre de leur vie, formé des étoiles. Après avoir épuisé leur gaz —ou plus exactement les nuages moléculaires au sein desquels se forment les étoiles— elles suivent une évolution qu’on dit «  passive  » : les populations stellaires vieillissent. Pourtant, de telles galaxies peuvent encore présenter de faibles raies d’émission, qui plus est, avec des rapports de raies caractéristiques des LINERs. C’est ce qu’a montré récemment une équipe franco-brésilienne, qui a qualifié ces galaxies de «  retraitées  ». Une bonne part des LINERs mis en évidence par le SDSS serait en fait des galaxies retraitées !
L’évolution du champ de rayonnement ionisant d’une galaxie
Les étoiles les plus massives — celles qui ionisent le gaz des galaxies à formation d’étoiles— sont celles qui meurent le plus vite. Au bout de 100 millions d’années, le nombre de photons ionisants qu’elles émettent a décru de plus de 4 ordres de grandeur. Mais les étoiles qui sont nées avec une masse inférieure à 8-10 masses solaires commencent à peine leur évolution en dehors de la séquence principale. Au cours de cette étape, elles deviendront noyaux de nébuleuses planétaires puis naines blanches, atteignant des températures nettement supérieures à celles des étoiles massives. Leurs photons, moins nombreux mais plus énergétiques (cf. Fig. 2), sont donc capables de chauffer le gaz comme le feraient des photons émis par disques d’accrétion autour de trous noirs massifs. En effet, contrairement à ce que dicterait le sens commun, la température d’un gaz photoionisé ne dépend pas de la quantité de photons ionisants, mais seulement de leur énergie.
Reste à montrer que les galaxies de la branche des LINERs peuvent réellement être des galaxies retraitées. Le continu optique de chaque galaxie du SDSS à été analysé en termes de populations stellaires à l’aide du code STARLIGHT. Ceci a permis d’estimer le continu émis dans l’ultraviolet lointain par ces populations stellaires et de l’utiliser dans des modèles de photoionisation pour calculer les intensités des raies émises par le gas résiduel de la galaxie (en particulier le gas provenant des vents stellaires).
On trouve que les populations stellaires vieillissantes rendent compte des luminosités observées en Halpha pour une fraction significative des LINERS (30% et peut-être beaucoup plus). Quant aux rapports d’intensités des raies, ils couvrent l’ensemble du domaine des LINERs dans le diagramme BPT et même au-delà.
Pourquoi les galaxies du SDSS dessinent-elles une mouette dans le diagramme BPTÂ ?
Il ne faut pas oublier que le diagramme BPT est également le résultat d’un effet de sélection. Le SDSS est borné en magnitude. Par conséquent, les galaxies les moins massives —et les moins métalliques— n’apparaissent dans le diagramme que lors de leur phase la plus lumineuse, c’est à dire celle de formation stellaire. Pour figurer dans le diagramme BPT, les galaxies doivent également être visibles dans les 4 raies [OIII], Hbeta, [NII] et Halpha. Tout le dessous de l’aile droite est absent car les raies sont trop faibles pour être détectées, même dans des galaxies lumineuses.
Toutes les galaxies ne sont pas égales face à la retraite
Plus les galaxies sont grosses, plus vite elles consument leur gaz par formation stellaire et plus elles deviennent des retraitées riches en métaux. C’est l’une des raisons pour lesquelles la séquence des galaxies à formation d’étoile ne contient pas d’objets de métallicité supérieure à 2 ou 3 fois la métallicité solaire, alors que la branche des LINERs peut en contenir.
Références
- Can retired galaxies mimic active galaxies ? Clues from the Sloan Digital Sky Survey Stasinska, G. (LUTH) ; Asari, N. V. (LUTH-UFSC) ; Cid Fernandes, R. (UFSC) ; Gomes, J. M. (GEPI-UFSC) ; Schlickmann, M. (UFSC) ; Mateus, A. (LAM) ; Schoenell, W. (UFSC) ; Sodré, L., Jr.(IAG), (the SEAGal collaboration), 2008, MNRAS, in press Semi-empirical analysis of Sloan Digital Sky Survey galaxies - III. How to distinguish AGN hosts Stasinska, G. ; Cid Fernandes, R. ; Mateus, A. ; Sodré, L. ; Asari, Natalia V., 2006, MNRAS, 371, 972
Dernière modification le 21 décembre 2021