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Des crêpes stellaires flambées par des trous noirs géants

1er mai 2008 Des crêpes stellaires flambées par des trous noirs géants

Selon deux astrophysiciens de l’Observatoire de Paris, le sort des étoiles qui s’aventurent trop près d’un trou noir massif pourrait s’avérer encore plus violent que ce que l’on croyait jusqu’alors. Non seulement les étoiles sont écrasées en forme de "crêpes" par l’énorme gravité du trou noir, mais le processus peut aussi déclencher une explosion thermonucléaire qui les désintègre de l’intérieur. De plus, les ondes de chocs engendrées dans la crêpe stellaire transportent du centre vers la surface un pic de température très bref et intense, susceptible de donner naissance à un nouveau type de sursaut X ou gamma.

Les scientifiques savent depuis longtemps que les trous noirs de quelques millions de masses solaires, présents dans la plupart des centres galactiques, peuvent briser les étoiles qui s’approchent trop près. En raison de forces de marée très intenses, la gravité du trou noir attire en effet plus fortement la partie avant de l’étoile que sa partie arrière, provoquant ainsi un déséquilibre qui, en quelques heures seulement, déchire l’étoile tout entière au sein de ce que l’on appelle le "rayon de marée".

Selon une étude récente de Matthieu Brassart et Jean-Pierre Luminet, de l’Observatoire de Paris (section de Meudon), l’intensité des forces de marée peut aussi déclencher des réactions thermonucléaires suffisamment puissantes pour faire exploser l’étoile depuis l’intérieur. A l’aide de simulations numériques, ils ont étudié les derniers instants d’un étoile condammée, dès lors qu’elle pénètre profondément dans le rayon de marée d’un trou géant.

Figure 1 : L’écrasement d’une étoile par les forces de marée d’un trou noir. Le dessin illustre la déformation progressive d’une étoile plongeant profondément dans le rayon de marée d’un trou noir géant (la taille de l’étoile est considérablement agrandie pour la clarté du dessin). La figure du haut représente la déformation de l’étoile dans son plan orbital (vue de dessus), celle du milieu montre la déformation dans la direction perpendiculaire (vue par la tranche), et le diagramme du bas indique l’aplatissement relatif. De (a) en (d), les forces de marée sont faibles et l’étoile reste pratiquement sphérique. En (e), l’étoile pénètre dans le rayon de marée et est dès lors condamnée. Sa configuration se rapproche d’abord de celle d’un cigare, puis de (e) à (g), l’effet laminoir des forces de marée écrase l’étoile dans son plan orbital, en une configuration de « crêpe ». Puis l’étoile rebondit et se dilate en ressortant du rayon de marée en (h). Plus loin sur son orbite, l’étoile finit par se dissocier en fragments gazeux. Les simulations hydrodynamiques détaillées, prenant en compte les ondes de choc, ont été effectuées durant la phase d’écrasement (e) à (g).
© J.-P. Luminet

Lorsque l’étoile s’approche suffisamment près du trou noir (sans toutefois tomber dedans), les forces de marée l’aplatissent en une configuration de "crêpe". Des calculs déjà effectués il y a vingt ans par Luminet et ses collaborateurs avaient suggéré que l’écrasement de l’étoile augmenterait la densité et la température centrales à des valeurs suffisantes pour déclencher des réactions thermonucléaires explosives. Mais d’autres travaux avaient suggéré que le processus serait modifié par des ondes de choc engendrées au sein de la crêpe, de sorte qu’aucune explosion nucléaire ne se produirait.

Les nouvelles simulations étudient en détail les effets des ondes de choc, et montrent que les conditions créées favorisent toujours une explosion thermonucléaire qui brisera complètement l’étoile, et sera suffisamment puissante pour propulser une bonne partie du gaz libéré hors d’atteinte du trou noir.

Figure 2 : Augmentation de la température centrale (en unités de la température initiale T*= 107 K) pour des crêpes stellaires pénétrant dans le rayon de marée par les facteurs respectifs 7, 10, 12 et 15. Le temps est en secondes, t = 0 correspond au passage de l’étoile au point le plus proche du trou noir. La température centrale maximale augmente comme le carré du facteur de pénétration. Cliquer sur l’image pour l’agrandir

Feux d’artifice stellaires
La rupture d’étoiles par les forces de marée de trous noirs a probablement déjà été observée par les télescopes à rayons X comme GALEX, XMM et Chandra, bien qu’à un stade beaucoup plus tardif : en effet, plusieurs mois après l’événement qui a brisé l’étoile, une partie du gaz libéré tombe en spirale vers le trou noir, s’échauffe et libère du rayonnement UV et X. Toutefois, si les crêpes stellaires explosent bel et bien, elles permettraient de détecter ces ruptures beaucoup plus tôt. Les futurs instruments comme le LSST (Large Synoptic Survey Telescope), qui recensera les supernovae en grand nombre, pourront repérer des explosions de ce type.

Mais le sort d’une crêpe stellaire pourait s’avérer encore plus spectaculaire. Brassart et Luminet ont calculé que les ondes de choc engendrées dans la crêpe transportent un pic de température bref (< 0.1 s) mais très intense (plus de 109 K) depuis le coeur de l’étoile vers sa surface. Ce dernier résultat est très prometteur, car il pourrait donner naissance à un nouveau type de sursaut X ou gamma qui permettrait de voir instantanément la rupture de l’étoile.

La fréquence de telles « flambées » est estimée à environ 10-5 par an par galaxie. Comme la plupart des galaxies — y compris notre propre Voie Lactée — abritent un trou noir massif en leur centre, et comme l’univers est transparent aux rayonnements X durs et gamma, plusieurs événements de ce type seraient détectables chaque année dans l’ensemble de l’univers observable.

Figure 3 : Evolution de la température stellaire (en eV 104 K) en fonction du temps (en secondes) dans le cas d’un plongeon profond. La courbe rouge correspond à la température au centre de l’étoile. La ligne pointillée correspond à l’augmentation de température (jusqu’à 109 K) produite par la propagation de l’onde de choc du centre vers la surface. La durée à mi-hauteur du pic de température sur le front d’onde n’est que de 0,05 seconde. Cliquer sur l’image pour l’agrandir

Conclusion
Les projets de sondages du ciel aux hautes énergies et à vaste couverture angulaire seront les mieux à même de détecter des flambées de ce type. En permettant une localisation rapide des crêpes stellaires, relayée par la détection de leurs lueurs résiduelles en optique, infrarouge et radio par les télescopes au sol, ces missions spatiales pourront apporter à la connaissance des dislocations stellaires autant que les télescopes Beppo-Sax et Swift ont jadis apporté à la compréhension des sursauts gamma.