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Chlorophylle et ozone au clair de la Terre

1er novembre 2006

Lorsque les missions spatiales pourront détecter des planètes semblables à la Terre, il sera important de connaître quels sont les indices de la présence de vie sur ces planètes, notamment la signature des gaz atmosphériques et de la végétation, etc.. Afin de déterminer comment notre Terre apparaîtrait vu à très grande distance, une équipe de scientifiques, parmi lesquels plusieurs chercheurs de l’observatoire de Paris, a effectué des observations au NTT (télescope de 3.5 m à l’ESO), de la lumière cendrée de la Lune, qui correspond à la réflexion sur la surface de la Lune de la lumière provenant de la Terre. Il apparaît que la Terre est parfois plutôt blanchâtre que bleue, et que la signature de la végétation sur une planète extra-solaire est très faible et requièrera une instrumentation à très haut contraste.

Quand nous pourrons observer une planète extrasolaire tellurique, elle nous apparaîtra comme un point et pourra être observée seulement dans son ensemble, sans en séparer les différentes parties. La vie sur d’autres planètes prendra probablement des formes inhabituelles et inconnues, cependant, comme rien n’est connu sur ces formes de vie, il faut rechercher comment détecter sur une planète très lointaine les traces d’une vie semblable à celle que nous connaissons sur Terre. Et pour cela il faut chercher à détecter la vie sur la Terre vue comme si elle était une planète très éloignée.

On pourrait utiliser un satellite suffisamment lointain pour voir la Terre dans son ensemble. Une autre possibilité est d’utiliser la Lune comme un miroir géant et d’étudier la Lumière Cendrée. La Lumière Cendrée peut se voir sur la partie sombre de la Lune, entre les cornes du fin croissant lumineux, dans les premiers ou derniers jours du cycle lunaire et nous savons depuis longtemps (Galilée ou peut-être Léonard de Vinci), que ce très faible éclairage de la Lune correspond au "clair de Terre", c’est-à-dire à la lumière du Soleil reflétée par la Terre vers la Lune et réfléchie de nouveau par la Lune vers la Terre. Comme son sol est rugueux, tout point de la Lune reflète donc la totalité de la Terre éclairée, ce qui correspond au cas d’une exoplanète tellurique observée depuis la Terre. Le schéma du trajet suivi par la lumière lors de l’observation de la Lumière Cendrée de la Lune est montré en figure 1. Nous savons que le spectre de la végétation terrestre présente une très abrupte remontée d’albedo, de presque un ordre de magnitude, à environ 725 nm. La végétation a développé cette forte réflexion comme mécanisme de refroidissement pour éviter un sur-réchauffement qui entraînerait une dégradation de la chlorophylle. Quoique l’albedo du sable croisse aussi vers l’infrarouge, cette remontée, signature typique de la végétation, que nous appelons le "Vegetation Red Edge" (VRE), est plus rapide et peut être détectée à partir de la Terre vue dans son ensemble.

Un programme d’observations au NTT (télescope de 3.5 m à l’ESO) a été établi, observations qui correspondent à la réflexion sur la Lune tantôt de l’océan Pacifique (le soir, dans les premiers jours du cycle lunaire) et tantôt des continents africain et européen (le matin, dans les derniers jours du cycle lunaire). Il est ainsi possible de rechercher et étudier la signature de la végétation correspondant à différents milieux. Ont été obtenus les spectres intégrés de la réflectance de la Terre depuis le proche UV (320 nm) jusqu’au proche IR (1020 nm). Le spectre du proche UV qui est le premier spectre intégré de la Terre dans le proche UV obtenu à partir de la Lumière Cendrée, montre une Terre sombre au dessous de 350 nm à cause de la forte absorption de l’ozone (bandes de Huggins). La valeur du Vegetation Red Edge obtenue est plus petite que ce qui avait été obtenu lors d’une étude préliminaire, mais permet cependant de distinguer entre les terres et les océans, puisqu’il est de 4.0% quand les forêts d’Europe et d’Afrique font face à la Lune et seulement de 1.3% quand c’est l’océan Pacifique qui se reflète sur la Lune. Les figures 2 et 3 montrent la Terre vue de la Lune au moment des observations, la Terre étant débarrassée de sa couverture nuageuse. Sont aussi observé des variations significatives du rayonnement Rayleigh suivant la couverture nuageuse : ainsi la Terre apparaît quelquefois presque blanchâtre plutôt que bleue, contrairement à ce que l’on croyait jusqu’à présent. En conclusion, la détection de la végétation sur une planète extra-solaire sera assez difficile à mettre en évidence. Il faudra en effet pour cela concevoir une instrumentation spéciale que nos résultats vont aider à définir. Une précision spectro-photométrique meilleure que 1% sera nécessaire et les instruments devront tous être équipés de dispositifs coronographiques optimisés permettant d’atténuer la lumière de l’étoile d’au moins 105 fois. Il est important de rappeler que la lumière d’une planète tellurique est de 1010 fois, soit dix milliards de fois, inférieure à la lumière de son étoile. Une étude de la Lumière Cendrée pendant au moins un an, à partir d’observations mensuelles permettrait de suivre les variations saisonnières du spectre de la végétation (Vegetation Red Edge), et indubitablement d’améliorer notre connaissance de ce biomarqueur.