Des notes de musique qui semblent agréables ensembles peuvent former une harmonie. Ces notes sont généralement dans une relation particulière les unes avec les autres : lorsqu’elles sont exprimées en fréquences, leurs rapports sont des fractions simples, telles que 4/3 ou 3/2. De même, un système planétaire peut aussi former une sorte d’harmonie lorsque les planètes, dont les rapports de période orbitale forment de simples fractions, s’attirent régulièrement par leur gravité. Lorsqu’une planète met trois jours en orbite autour de son étoile et que sa voisine prend deux jours, par exemple. À l’aide du télescope spatial CHEOPS, une équipe internationale de scientifiques, conduite par l’astrophysicien Adrien Leleu, ancien doctorant de l’IMCCE / Observatoire de Paris, maintenant post-doctorant CHEOPS à l’Observatoire de Genève, ont trouvé de telles relations entre cinq des six planètes en orbite autour de l’étoile TOI-178, situées à plus de 200 années-lumière de la Terre. Les résultats sont publiés aujourd’hui dans le Journal of Astronomy and Astrophysics.
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Une pièce manquante dans un puzzle imprévu
Comme l’avait remarqué J. Schneider (Observatoire Luth / Paris), les observations du Transiting Exoplanet Survey Satellite (TESS) de la NASA mettaient en évidence un système à trois planètes, dont deux avec des périodes orbitales très proches, laissant la possibilité d’un système de planètes co-orbitales. À la recherche de ces planètes co-orbitales depuis plusieurs années, A. Leleu, P. Robutel (IMCCE / Observatoire de Paris) et leurs collègues ont donc observé le système avec des instruments supplémentaires, comme le spectrographe ESPRESSO au sol à l’Observatoire européen austral (ESO ) du Paranal Observatory au Chili, mais les résultats n’ont pas été concluants. Lorsque Leleu et ses collègues ont proposé d’étudier le système de plus près, ils n’étaient donc pas sûrs de ce qu’ils allaient trouver. La haute précision et la facilité de pointage de CHEOPS étaient nécessaires pour apporter de la clarté au problème, mais cela s’est avéré plus difficile que prévu. L’équipe n’a pas trouvé de planètes co-orbitales mais les résultats étaient tout de même spectaculaires car il y avait en effet cinq planètes présentes dans le système avec des périodes orbitales d’environ 2, 3, 6, 10 et 20 jours respectivement.
Alors qu’un système à cinq planètes aurait été une découverte assez remarquable en soi, A. Leleu et ses collègues ont remarqué qu’il y avait peut-être plus : le système semblait être piégé dans une chaîne de résonances. « Notre théorie impliquait qu’il pouvait y avoir une planète supplémentaire dans cette harmonie ; cependant sa période orbitale devait être à une valeur très spécifique, près de 15 jours. Si la période n’avait été que dix minutes de plus ou dix minutes de moins que la valeur prévue, le système aurait été chaotique », explique Leleu. Pour vérifier si leur théorie était bien vraie, l’équipe a programmé une autre observation avec CHEOPS, à l’heure exacte où cette planète manquante passerait - si elle existait. Comme le rapporte Nathan Hara, co-auteur, astrophysicien de l’Université de Genève, et ancien doctorant à l’IMCCE. « Quelques jours plus tard, les données indiquaient clairement la présence de la planète supplémentaire et confirmaient ainsi qu’il y avait bien six planètes dans le système TOI-178 », explique Hara.
Une des chaînes de résonances les plus longues dans un système planétaire
Ces travaux ont révélé que le système possède six planètes et que toutes sauf celle qui est la plus proche de l’étoile sont bloquées dans une chaîne de résonance. Cela signifie qu’il y a des motifs qui se répètent lorsque les planètes tournent autour de l’étoile, certaines planètes s’alignant toutes les quelques orbites. Une résonance similaire est observée sur les orbites de trois des lunes de Jupiter : Io, Europa et Ganymède. Io, le plus proche des trois de Jupiter, effectue quatre orbites complètes autour de Jupiter pour chaque orbite de la plus éloignée, Ganymède, et deux orbites complètes pour chaque orbite d’Europa.
Les cinq planètes externes du système TOI-178 suivent une chaîne de résonance beaucoup plus complexe (https://www.eso.org/public/videos/eso2102b/), l’une des plus longues jamais découvertes dans un système planétaire. Alors que les trois lunes de Jupiter sont dans une résonance 4 : 2 : 1, les cinq planètes extérieures du système TOI-178 suivent une chaîne 18 : 9 : 6 : 4 : 3 : tandis que la deuxième planète de l’étoile (la première dans le chaîne de résonance) effectue 18 orbites, la suivante effectue 9 orbites, et ainsi de suite.
Un système qui est un défi pour notre compréhension actuelle
Grâce à la précision des mesures de CHEOPS ainsi qu’aux données antérieures de la mission TESS, du spectrographe ESPRESSO de l’ESO et autres, les scientifiques ont pu non seulement mesurer les périodes et les tailles des planètes de 1,1 à 3 fois le rayon de la Terre, mais aussi estimer leurs densités. Avec cela est venu une autre surprise : par rapport à la façon ordonnée de l’agencement des planètes en orbite autour de leur étoile, leurs densités semblent être un mélange incompréhensible. Dans le système TOI-178, une planète terrestre dense comme la Terre semble être juste à côté d’une planète très peu dense, ayant la moitié de la densité de Neptune suivie d’une très similaire à Neptune. Comme le conclut Adrien Leleu, « le système s’est donc avéré être un système qui remet en question notre compréhension de la formation et de l’évolution des systèmes planétaires ».
Réference
- Six transiting planets and a chain of Laplace resonances in TOI-178 , A. Leleu, Y. Alibert, N.C. Hara, M.J. Hooton, T. G. Wilson, P. Robutel, J-B. Delisle, J. Laskar et al. et al. Astronomy & Astrophysics, 2021, in press
https://aanda.org/10.1051/0004-6361/202039767
- An artistic interpretation of the TOI-178 harmony (credit : ESO)
https://www.youtube.com/watch?v=-WevvRG9ysY&feature=emb_title
CHEOPS – in search of potential habitable planets
La mission CHEOPS (CHaracterising ExOPlanet Satellite) est la première des nouvelles « missions de classe S » de l’ESA - des missions de petite classe avec un budget de l’ESA beaucoup plus petit que celui des missions de grande et moyenne taille, et un délai plus court depuis le lancement du projet.
CHEOPS est dédié à la caractérisation des transits des exoplanètes. Il mesure les changements de luminosité d’une étoile lorsqu’une planète passe devant cette étoile. Cette valeur mesurée permet de dériver la taille de la planète et de déterminer sa densité sur la base des données existantes. Cela fournit des informations importantes sur ces planètes - par exemple, si elles sont principalement rocheuses, sont composées de gaz ou si elles ont des océans profonds. Ceci, à son tour, est une étape importante pour déterminer si une planète a des conditions propices à la vie.
CHEOPS a été développé dans le cadre d’un partenariat entre l’Agence spatiale européenne (ESA) et la Suisse. Un consortium de plus d’une centaine de scientifiques et d’ingénieurs de onze États européens a participé à la construction du satellite pendant cinq ans, dont des chercheurs de l’Institut de Mécanique Céleste et de Calcul des Ephémérides (IMCCE) / Observatoire de Paris, IPGP Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP), Laboratoire d’Astrophysique de Marseille (LAM) et Institut d’Astrophysique de Paris (IAP).
CHEOPS a commencé son voyage dans l’espace le mercredi 18 décembre 2019 à bord d’une fusée Soyouz Fregat depuis le port spatial européen de Kourou, en Guyane française. Depuis, il est en orbite autour de la Terre sur une orbite polaire en environ une heure et demie à une altitude de 700 kilomètres en suivant le terminateur.
Dernière modification le 21 décembre 2021