Anneaux distincts dans le signal à 21cm de l’époque de la réionisation
1er mars 2011
9 Mars 2011 — L’époque de la réionisation est le moment de l’univers où le gaz d’hydrogène, d’abord majoritairement neutre, devient ionisé par les premières sources de rayonnement UV et X (étoiles et quasars). Les astrophysiciens espèrent obtenir de nombreuses informations sur l’époque de la réionisation à partir des futures observations de la transition à 21 cm de longueur d’onde de l’atome d’hydrogène neutre, pour laquelle de nombreux projets sont en cours de réalisation (LOFAR, SKA, MWA..). Il sera cependant difficile d’extraire des données brutes le signal cosmologique à cause de nombreuses contaminations par les sources d’avant-plan, par la réfraction ionosphérique, ou par les instruments eux-mêmes. L’intensité des avant-plans sera plusieurs ordres de grandeur supérieure à celle du signal à 21 cm. Toute prédiction au sujet des propriétés du signal cosmologique est donc particulièrement utile afin de vérifier que l’extraction du signal a été effectuée avec succès. C’est précisément une telle prédiction qu’ont faite des chercheurs de l’Observatoire de Paris (LERMA). A l’aide de simulations numériques, ils ont mis en évidence l’existence d’un signal caractéristique en forme d’anneaux concentriques autour des premières sources de rayonnement.
Il en résulte que toute source émettant des photons UV va être entourée par une série de sphères concentriques, appelées horizons Lyman, que les photons émis dans différentes bandes de fréquence ne peuvent dépasser. Ainsi, le profil radial du flux Lyman-alpha autour des sources de rayonnement UV montre des discontinuités caractéristiques aux distances où les photons émis par les sources atteignent les différentes raies de la série de Lyman (Figure 1).
Figure 1 : Profil radial du coefficient de couplage pour l’excitation par Lyman-alpha, x_alpha, à z=13.42, autour de la première source apparaissant dans une simulation de 140 Mpc de taille (cette taille correspond à la taille mesurée aujourd’hui, en soustrayant l’expansion, on la dit "comobile"). La courbe rouge est le profil correct, alors que la courbe noire est le résultat d’une simulation négligeant l’apport des photons Lyman-alpha issus des raies supérieures de la série de Lyman. De nettes discontinuités s’observent aux positions correspondant aux horizons Lyman-gamma, Lyman-delta et Lyman-epsilon, dont les positions prédites sont indiquées par des flèches.
A cause de l’effet Wouthuysen-Field, ceci se traduit par un profil similaire pour la température différentielle de brillance du signal à 21 cm observé par les radiotélescopes. Sur une carte du signal, les horizons Lyman sont matérialisés par des anneaux concentriques parfaitement sphériques visibles autour des sources (Figure 2).
Figure 2 : Carte de la quantité Delta T_b r2 à z = 13.42, où Delta T_b est la température différentielle (déviation par rapport au fond diffus cosmologique) de brillance du signal à 21 cm et r la distance au centre de la source. L’échelle de couleur est logarithmique et en unités arbitraires. Les horizons Lyman-epsilon, Lyman-delta et Lyman-gamma sont marqués de flèches blanche, jaunes et rouges respectivement. L’image fait 140 Mpc comobiles de côté et a une épaisseur de 2.8 Mpc comobiles. La source de rayonnement se trouve au centre d’une bulle d’hydrogène ionisé (tache blanche centrale).
Malheureusement, les autres sources qui apparaissent plus tard dans la simulation vont elles aussi contribuer au fond Lyman-alpha, ce qui va avoir pour effet de rendre ce dernier anisotrope, effaçant progressivement les discontinuités en anneaux. Les chercheurs du LERMA ont montré que les signaux annulaires sont visibles pendant un intervalle de redshift Delta z 2 après l’apparition de la première source. En utilisant une méthode de stacking (moyenne des profils radiaux pour toutes les sources de la simulation), ils parviennent à étendre cet intervalle jusqu’à Delta z 4, soit de z = 14 à z = 10 environ.
Il est intéressant de déterminer si cette signature prédite peut être détectée par le futur Square Kilometre Array (SKA), un gigantesque radiotélescope en développement qui sera considérablement plus sensible que les instruments actuels. Pour ce faire, du bruit instrumental a été rajouté au signal simulé. L’analyse montre que si le nombre de sources dans la simulation est suffisant, alors le moyennage des profils permet de lisser les perturbations individuelles, et les horizons Lyman sont malgré tout encore détectables (Figure 3).
Figure 3 : Gradient du profil radial du signal à 21 cm, à z=11.05, pour une simulation de 280 Mpc comobiles de côté. La courbe noire se réfère à la première source apparaissant dans la simulation, sans ajout de bruit instrumental. La courbe rouge se rapporte à la même source, mais après avoir ajouté du bruit. Quant à la courbe bleue, c’est celle du gradient du profil lorsque toutes les sources de la simulation ont été sommées ensemble. Cette méthode de moyenne est efficace, puisqu’elle permet de mettre en évidence les horizons Lyman-delta et Lyman-epsilon (pics du gradient, indiqués par des flèches), alors que ceux-ci ne sont pas détectables sur les profils individuels, bruités ou non.