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Les éruptions solaires s’érodent et se régénèrent en continu

Communiqué de presse | Observatoire de Paris - PSL

Mieux comprendre les éjections de masse coronale (CMEs) et leur connexion à la surface du Soleil constitue un enjeu pour les prévisions en météorologie de l’espace. À l’aide de simulations numériques et d’observations spatiales de pointe, une équipe de scientifiques de l’Observatoire de Paris – PSL au Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique (Observatoire de Paris – PSL, CNRS, Sorbonne Université, Université de Paris) et de l’Institut Astronomique de l’Académie Tchèque des Sciences montre que, pendant que les CMEs se propagent dans l’héliosphère, leur cœur est continuellement érodé puis régénéré, ce qui entraîne une dérive de leurs points d’ancrage à la surface du Soleil. Ce mécanisme inédit, qui renouvèle le modèle standard, est décrit dans une série d’articles publiés entre janvier et décembre 2019 dans les revues Astronomy & Astrophysics et Astrophysical Journal.

Les éruptions solaires sont les manifestations les plus violentes de l’activité solaire. Elles se caractérisent par une augmentation brutale et intense des émissions lumineuses dans toutes les longueurs d’onde. Beaucoup d’entre elles sont accompagnées d’une éjection de masse coronale (CME), au cours de laquelle une partie de l’atmosphère extérieure du Soleil - la couronne - est éjectée dans l’espace interplanétaire. Lorsqu’elles atteignent la Terre, les CMEs peuvent avoir un impact majeur sur notre technologie. Comprendre leur connexion du Soleil à la Terre est donc un enjeu majeur de la météorologie de l’espace.

Au cœur d’une CME se trouve un ensemble de lignes de champ magnétique torsadées appelé corde de flux magnétique. A l’instar des boucles coronales classiques, observables sur toutes les images solaires en extrême ultraviolet (EUV), la corde torsadée forme une arche à travers la couronne et ancrée à la surface du Soleil par des pieds. Lorsqu’une éruption solaire se produit, la corde de flux s’échappe du Soleil et entraîne une réorganisation à grande échelle du champ magnétique coronal, avec un changement des connexions des lignes de champ magnétique : c’est le phénomène bien connu de reconnexion magnétique qui s’accompagne d’une brusque libération d’énergie magnétique observée sous la forme d’un éclat de lumière, le flare.

L’équipe de chercheurs de l’Observatoire de Paris et de l’Institut Astronomique de l’Académie Tchèque des Sciences a découvert que la reconnexion ne se produit pas uniquement entre des paires de boucles classiques, et en-dessous de la corde de flux éruptive là où elle est observée régulièrement et décrite par le modèle standard depuis longtemps, mais aussi au niveau des pieds de la corde de flux elle-même.

Numerical simulation of the early phases of a solar eruption.
(Top row:) The original flux rope, in pink, is gradually eroded on its right side; and it is being rebuilt on its left side from coronal loops, in orange. Also shown are classical coronal loops, in green, that reconnect as described by the standard flare model. (Bottom row:) The hooked flare ribbons, in white, surround the moving anchor points of the erupting flux rope, and drift away from their original positions.
© Observatoire de Paris - PSL / LESIA

Ce processus, jamais décrit auparavant, est à l’origine de changements dans la nature des lignes de champ magnétique, lesquels étaient jusque-là ignorés. En particulier, par reconnexion, certaines boucles coronales classiques peuvent se transformer en corde de flux, tandis que certaines lignes de champ magnétique torsadées de la corde de flux se transforment en boucles post-éruptives brillantes en EUV et en rayons X. C’est la toute première fois qu’est proposée une explication pour la formation des boucles post-éruptives situées aux deux extrémités du flare, qui jusqu’ici étaient supposées être produites dans la cadre du modèle standard.

Autre conséquence marquante de la prise en compte de ce processus découvert, il s’avère que cette reconnexion érode et régénère conjointement de part et d’autre chacune des deux extrémités de la corde de flux. Ce recyclage continu de l’éruption entraîne un comportement inattendu pour la CME : ses points d’ancrage à la surface du Soleil doivent alors dériver pendant l’éruption, une caractéristique absente du modèle standard. « Les éruptions solaires sont comme une sorte de phénix, dont les plumes pousseraient continuellement à l’arrière de ses ailes alors que d’autres seraient consumées en-dessous », explique le Dr Jaroslav Dudík de l’Institut Astronomique de l’Académie Tchèque des Sciences.

Cette découverte a été réalisée grâce à un étroit couplage entre des travaux numériques et observationnels. D’une part, les chercheurs ont utilisé un modèle magnéto-hydrodynamique tridimensionnel, développé pendant plusieurs années par le Dr Guillaume Aulanier et ses collègues de l’Observatoire de Paris, et basé sur des simulations numériques effectuées sur la machine parallèle MesoPSL de l’université Paris Sciences et Lettres. D’autre part, ils ont appliqué des méthodes originales d’analyse des données, développées par le Dr Dudík et son équipe de l’Institut Astronomique de l’Académie Tchèque des Sciences, qu’ils ont appliquées aux observations spatiales du satellite Solar Dynamics Observatory de la NASA.

Le couplage entre ces deux approches a été réalisé en faisant des prédictions théoriques réfutables et en les testant avec les observations. L’accent a été mis sur les boucles et les rubans d’éruptions, ces derniers étant des embrillancements allongés très marqués, possédant parfois une forme en crochet. En bref, « si vous voyez un crochet de ruban se déplacer et des boucles post-éruptives apparaître là où se trouvait le crochet, cela signifie que les points d’ancrage de la corde de flux ont dérivé », explique le Dr Aulanier, qui ajoute « cela ne peut être expliqué que par le type de reconnexion magnétique que nous sommes parvenus à mettre en évidence en 3D, et c’est une signature claire du déplacement de l’ancrage à la surface du Soleil des CMEs au cours de leur propagation dans l’héliosphère ».

Réussir à tester les prédictions du modèle n’était pas évident. Cela a nécessité l’analyse de plusieurs éruptions, avec un effort majeur pour mettre évidence des caractéristiques observationnelles habituellement négligées. « Les éruptions solaires sont très complexes, dans certaines vous ne voyez que la dérive des rubans, tandis que dans d’autres vous pouvez voir l’éruption de la corde de flux elle-même », explique le Dr Dudík de l’Académie Tchèque des Sciences, qui a coordonné les analyses des observations.

The solar eruption of August 31, 2012 as observed in the EUV by the Solar Dynamics Observatory satellite.
(Top row:) Full-view of the event in 171 Angstrom. (Middle row:) Close-up on the evolution of the leftmost hooked-shaped ribbon and erupting filament loops. (Bottom row:) Close-up in 94 Angstrom on the formation of hot flare loops.
© NASA / SDO / Astronomical Institute of the Czech Academy of Sciences

L’un des événements, étudié par Juraj Lörinčík, un doctorant de l’équipe du Dr Dudík, était le célèbre filament éruptif du 31 août 2012. En effectuant des analyses multi-longueurs d’onde et des calculs thermodynamiques, M. Lörinčík a dévoilé pour la toute première fois que, au fur et à mesure que le crochet du ruban se déplace, il balaye les points d’ancrage des lignes de champ du filament, et les transforme alors en boucles post-éruptives. Exactement comme prévu par le modèle. « Les crochets des rubans d’éruptions, longtemps ignorés dans les observations, jouent un rôle important dans l’évolution de ces phénomènes fascinants », explique M. Lörinčík. « Maintenant, nous avons vu pour la première fois que la reconnexion dans les flares est beaucoup plus riche et variée qu’on ne le pensait auparavant. »

Ces découvertes ont des conséquences sur la prévision en météorologie de l’espace. « Nous venons de découvrir que la corde de flux d’une CME qui se propage dans l’héliosphère n’est pas la même que celle qui décolle du Soleil », explique le Dr Aulanier « nous devons donc inventer de nouvelles façons de caractériser le recyclage des CME interplanétaires, peut-être en regardant les changements de leurs empreintes solaires ». La mission Solar Orbiter de l’ESA, qui est sur le point d’être lancée en février 2020, sera parfaitement adaptée à cela, compte tenu de son ensemble sans précédent d’instruments in situ et de télédétection couplés entre eux.

Références

Ce travail de recherche a fait l’objet d’une série d’articles publiés tout au long de l’année 2019 :

  • Aulanier, G., Dudík, J.: 2019, “Drifting of line-tied footpoints of CME flux-ropes”, Astronomy & Astrophysics, 621, A72 (13 pp.)
  • Zemanová, A., Dudík, J., Aulanier, G., Thalmann, J. K., Gömöry, P.: 2019, “Observations of a Footpoint Drift of an Erupting Flux Rope”, The Astrophysical Journal, 883, 96 (13 pp.)
  • Lörinčík, J., Dudík, J., Aulanier, G.: 2019, “Manifestations of Three-dimensional Magnetic Reconnection in an Eruption of a Quiescent Filament: Filament Strands Turning to Flare Loops”, The Astrophysical Journal, 885, 83 (11 pp.)
  • Dudík, J., Lörinčík, J., Aulanier, G., Zemanová, A., Schmieder, B.: 2019, “Observations of all pre- and post-reconnection structures involved in three-dimensional reconnection geometries in solar eruptions”, The Astrophysical Journal, 887, 71 (8 pp.)