Depuis les années 1970, les astronomes ont admis que la matière sombre – ou invisible - est la principale composante de la matière dans l’Univers. L’astronome américaine Vera Rubin fut la première à constater le besoin d’introduire une importante quantité de matière en supplément à la matière observable pour expliquer la rotation du gaz ionisé au bord des grands disques de la Voie lactée ou de la galaxie d’Andromède : sans cette matière invisible, impossible d’expliquer pourquoi ce gaz tourne aussi vite.
L’astronome néerlandais Albert Bosma confirma ce besoin de matière noire dans les parties les plus externes, le halo des grandes galaxies spirales, en étendant l’étude des courbes de rotation à ces zones. Dans les années 1980, l’astronome américain Marc Aaronson découvrit un effet équivalent, cette fois dans les galaxies les plus minuscules environnant la Voie lactée.
Depuis, de nouvelles galaxies naines ont été découvertes et les mouvements de leurs étoiles, analysés. Une fois de plus, les étoiles qui les composent ont un mouvement beaucoup trop important pour être expliqué uniquement par l’attraction gravitationnelle qu’elles exercent les unes sur les autres. En supposant ces galaxies à l’équilibre, les cosmologistes ont attribué ces mouvements à la présence de matière sombre et calculé que les plus petites d’entre elles pouvaient contenir jusqu’à des milliers de fois plus de matière sombre que de matière observable, soit 99,9 % de la masse totale. L’hypothèse de départ supposait aussi que l’attraction gravitationnelle de la Voie lactée était négligeable.
Une piste insuffisamment explorée : l’attraction de la Voie lactée
C’est seulement dans le halo de la Voie lactée que l’on peut observer les galaxies les moins massives, contenant juste quelques milliers d’étoiles. En analysant leurs propriétés dynamiques, une équipe scientifique franco-chinoise de l’Observatoire de Paris – PSL, du CNRS et du National Astronomical Observatory of China (NAOC) a découvert un lien exceptionnellement fort entre le contenu supposé de matière sombre dans la plupart des galaxies naines, et l’attraction gravitationnelle exercée par la Voie lactée. Ce lien est si étroit que la probabilité que cela soit une simple coïncidence est inférieure à une chance sur dix milliards. Cela signifie qu’en réalité l’attraction de la Voie lactée contrôle l’ensemble des mouvements des étoiles dans ces galaxies naines, et a contrario, que la masse sombre n’y joue aucun rôle. Les astronomes ont vérifié que cela ne pouvait venir d’un artefact, en montrant par exemple que la corrélation ne dépendait pas de la masse en étoiles. Comment expliquer un tel résultat ?
Un nouveau scénario
La Voie lactée peut influencer la dynamique des étoiles dans les galaxies naines satellites, via les effets gravitationnels dits de marée.
Les scientifiques ont démontré que si les galaxies naines étaient le résultat d’une première rencontre avec le halo de la Voie lactée, l’agitation des étoiles pouvait s’expliquer sous la seule influence de la gravitation de la Voie lactée, et cela sans qu’il y ait besoin de matière sombre dans ces galaxies naines. Une telle possibilité avait rarement été évoquée pour les galaxies naines peuplant le halo de la Voie lactée : elles étaient considérées jusqu’à présent comme des galaxies satellites orbitant autour de la nôtre. Cette possibilité est renforcée par le fait que les deux plus grandes galaxies naines de notre voisinage, les Nuages de Magellan, sont bien à leur premier passage près de la Voie lactée.
Cette interprétation explique complètement la relation exceptionnellement forte entre la supposée masse invisible dans les galaxies naines et l’accélération gravitationnelle de la Voie lactée. Durant le dernier milliard d’années écoulées, plusieurs petites galaxies très abondantes en gaz froid et neutre ont rencontré la Voie lactée. Le halo de la Voie lactée contenant du gaz très chaud à plus d’un million de degrés, celui-ci a arraché le gaz froid des galaxies naines déstabilisant complètement les orbites de leurs étoiles (voir vidéo). Ce sont donc des galaxies fortement déséquilibrées qui rejoignent la Voie lactée, tombant ensuite complètement sous son influence gravitationnelle. Les astronomes ont montré qu’en connaissant seulement la distance de ces galaxies par rapport à la Voie lactée ainsi que leur rayon, on pouvait prédire précisément l’agitation de leurs étoiles, c’est à dire la dispersion de leur vitesse observée sur la ligne de visée.
Des certitudes bouleversées
Les conséquences de cette étude bouleversent l’ensemble de nos connaissances sur l’existence de matière sombre dans les galaxies naines, un tel résultat pouvant s’étendre aussi aux galaxies naines au voisinage de la grande galaxie d’Andromède.
François Hammer, astronome de l’Observatoire de Paris - PSL et premier auteur de l’article, précise : « Ces nouveaux résultats ne prouvent pas stricto sensu l’absence de matière noire dans les galaxies naines, bien qu’il n’y ait plus de raison de présupposer son existence en l’absence complète de preuve. »
L’équipe poursuit son étude pour vérifier de nombreuses prédictions en particulier en utilisant le deuxième catalogue du satellite Gaia, paru récemment.
Vidéo
Sur la chaine Youtube de l’Observatoire de Paris - PSL, découvrir l’origine puis la transformation des galaxies naines dans le halo de la Voie lactée :
https://www.youtube.com/channel/UCOpKYDc1QFXfXH6OmfqJzFg
Référence
Ce travail de recherche a fait l’objet d’un article intitulé “Galactic forces rule dynamics of Milky Way dwarf galaxies”, par F. Hammer et al., à paraître le 14 juin 2018 dans la revue Astrophysical Journal (arXiv:1805.01469).
Collaboration
L’équipe est composée de François Hammer (Observatoire de Paris – PSL / CNRS), Yanbin Yang (CNRS / Observatoire de Paris - PSL), Frédéric Arenou (CNRS / Observatoire de Paris - PSL), Carine Babusiaux (Observatoire des sciences de l’Univers de Grenoble, affectée à l’Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble (CNRS / Université Grenoble Alpes)), Jianling Wang (National Astronomical Observatory of China), Mathieu Puech (Observatoire de Paris – PSL / CNRS) et
Hector Flores (Observatoire de Paris – PSL / CNRS).
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Dernière modification le 21 décembre 2021